Tous les mutants dysmyéliniques ont été précieux pour localiser certaines molécules dans la myéline : acides gras à très longues chaînes, alcanes, plasmalogènes. Ils ont permis de mettre en évidence les voies distinctes et successives de synthèse des acides gras saturés et monoinsaturés dans le réticulum : de novo, palmityl-élongase et stéaryl-élongase ; cette dernière est spécifique de l'oligodendrocyte et se trouve diminuée parallèlement à la dysmyélinisation. Les mutants neurologiques ont été particulièrement utiles pour étudier les mécanismes de trafic intracellulaire ayant pour finalité l'accroissement des membranes plasmiques.
C'est ainsi que nous avons abordé les mécanismes de transport intracellulaire en décrivant un type de vésicule propre à l'oligodendrocyte et contenant des lipides et des protéines spécifiques de la myéline. Nous avons montré l'existence d'isoformes spécifiques des alpha et bêta-tubulines dans la myéline, et proposé que ces molécules participent à la structure d'un squelette des membranes.
2 - Mes travaux ont décrit la nature des acides gras saturés et monoinsaturés de la myéline, précisé leur mode de synthèse et leur devenir métabolique. Grâce à la constitution d'une équipe, nous avons étudié les enzymes de synthèse, montré l'existence de complexes multi-enzymatiques et de polypeptides polyfonctionnels, précisé sur quelle enzyme se situent les régulations, expliqué pourquoi dans une même cellule, les mêmes acides gras sont synthétisés par des organites différents selon des mécanismes distincts pour avoir des destinées particulières. Le réticulum endoplasmique des oligodendrocytes et des cellules de Schwann synthétise ses propres acides gras, mais aussi ceux de la membrane plasmique et ceux de la myéline. Les mitochondries cérébrales sont autonomes, n'élaborent que leurs propres acides gras et n'ont pas de relation directe avec la myélinisation. La synthèse cytosolique participe indirectement à la synthèse de la myéline en fournissant des substrats aux enzymes du réticulum. Au cours de la différenciation de l'oligodendrocyte, toutes les synthèses des constituants spécifiques de la myéline sont mises en route simultanément et non pas de manière séquentielle : acides gras à très longues chaînes, cérébrosides, sulfatides, protéines basiques, protéolipides.
Pour divers organes, mais pas pour le cerveau, l'acide oléique est partiellement indispensable.
3 - Les acides gras oméga-3
Globalement, pour résumer, j’ai montré que, dans l'alimentation, en particulier pendant la période qui entoure la naissance (néonatale), Il faut considérer quantitativement et qualitativement les quatre séries d'acides gras : saturée, mono-insaturée, linoléique et alpha-linolénique (ALA). Au cours du développement, il existe une relation directe entre le contenu nutritionnel en acides gras poly-insaturés oméga-3, la composition lipidique et la fluidité des membranes, les activités enzymatiques, certains paramètres électro-physiologiques (électrorétinogramme, audiogramme), neuro-sensoriels (vision, ouïe, goût), la fonction (test d'apprentissage, comportement) et la résistance à certains neurotoxiques. Mes recherches sur les oméga-3 ont fait l’objet de plus de 150 publications internationales. En conséquence, la nature des acides gras poly-insaturés (en particulier oméga-3) présents dans les laits adaptés pour nourrissons (prématurés comme nés à terme) conditionne les capacités visuelles, neurologiques et intellectuelles.
Les premiers travaux établissant la relation entre l’effet d’un nutriment, la structure et la fonction du cerveau ont porté sur l’ALA (acide alpha-linolénique, 18:3w3, 18:3 oméga-3, car il a 18 atomes de carbone), premier élément de la famille oméga-3. J’ai en effet d’abord montré, dès 1983, que les cultures de cellules cérébrales nécessitent, pour se différencier et être fonctionnelles, non seulement l’acide alpha-linolénique, mais aussi les très longues chaînes carbonées oméga-3 (le DHA en l’occurrence) et oméga-6. L’année suivant, je publiais que la carence en ALA provoque des anomalies dans la composition des divers types cellulaires et organites du cerveau (et du nerf périphérique) : neurones, astrocytes, oligodendrocytes, myéline, terminaisons nerveuses, réticulum endoplasmique. Le déficit très important en DHA est généralement compensé par un excès de 22:5 oméga-6 (acide docosapentaénoïque). La quantité totale d'acides gras poly-insaturés n'est donc pratiquement pas altérée, de même que celle des acides gras saturés et mono-insaturés. Au niveau des structures nerveuses, il est observé une préservation de l'ALA alimentaire (et une réutilisation du DHA), car une division quantitative par 21 dans l'alimentation ne se traduit que par une division par 2 dans les neurones. L’ALA alimentaire est très vraisemblablement allongé et désaturé par le foie en DHA (via l’EPA) qui est en fait l’acide gras essentiel pour le cerveau.