1 - Les résultats de mon laboratoire portant sur le métabolisme des lipides ont permis de comprendre certaines leucodystrophies humaines dont l'une est en outre caractérisée par un défaut dans le métabolisme des acides gras.
Concernant les mutants neurologiques, nous avons été parmi les premiers à réaliser leur description (Quaking, Jimpy, Shiverer) et les premiers pour le Trembler (système nerveux périphérique). La mutation Shiverer est due à une absence de protéines basiques, d'où l'impossibilité d'élaborer la ligne dense majeure de la myéline ; le mutant mld est son allèle. Chez le mutant Quaking qui fabrique une myéline immature incapable d’évoluer, j’ai proposé l’existence d’un arrêt précoce de la myélinogénèse. Le mutant Trembler présente une dysmyélination avec synthèse et dégradation permanentes de la myéline du nerf périphérique, associée à une augmentation remarquable de la synthèse des sulfatides et à des anomalies des jonctions neuromusculaires.

Tous les mutants dysmyéliniques ont été précieux pour localiser certaines molécules dans la myéline : acides gras à très longues chaînes, alcanes, plasmalogènes. Ils ont permis de mettre en évidence les voies distinctes et successives de synthèse des acides gras saturés et monoinsaturés dans le réticulum : de novo, palmityl-élongase et stéaryl-élongase ; cette dernière est spécifique de l'oligodendrocyte et se trouve diminuée parallèlement à la dysmyélinisation. Les mutants neurologiques ont été particulièrement utiles pour étudier les mécanismes de trafic intracellulaire ayant pour finalité l'accroissement des membranes plasmiques.
C'est ainsi que nous avons abordé les mécanismes de transport intracellulaire en décrivant un type de vésicule propre à l'oligodendrocyte et contenant des lipides et des protéines spécifiques de la myéline. Nous avons montré l'existence d'isoformes spécifiques des alpha et bêta-tubulines dans la myéline, et proposé que ces molécules participent à la structure d'un squelette des membranes.

2 - Mes travaux ont décrit la nature des acides gras saturés et monoinsaturés de la myéline, précisé leur mode de synthèse et leur devenir métabolique. Grâce à la constitution d'une équipe, nous avons étudié les enzymes de synthèse, montré l'existence de complexes multi-enzymatiques et de polypeptides polyfonctionnels, précisé sur quelle enzyme se situent les régulations, expliqué pourquoi dans une même cellule, les mêmes acides gras sont synthétisés par des organites différents selon des mécanismes distincts pour avoir des destinées particulières. Le réticulum endoplasmique des oligodendrocytes et des cellules de Schwann synthétise ses propres acides gras, mais aussi ceux de la membrane plasmique et ceux de la myéline. Les mitochondries cérébrales sont autonomes, n'élaborent que leurs propres acides gras et n'ont pas de relation directe avec la myélinisation. La synthèse cytosolique participe indirectement à la synthèse de la myéline en fournissant des substrats aux enzymes du réticulum. Au cours de la différenciation de l'oligodendrocyte, toutes les synthèses des constituants spécifiques de la myéline sont mises en route simultanément et non pas de manière séquentielle : acides gras à très longues chaînes, cérébrosides, sulfatides, protéines basiques, protéolipides.
Pour divers organes, mais pas pour le cerveau, l'acide oléique est partiellement indispensable.

3 - Concernant les acides gras polyinsaturés, essentiels, ce ne sont pas les précurseurs qui sont indispensables pour le système nerveux mais les chaînes très longues qui contrôlent la fluidité des membranes ; ils permettent aux cellules nerveuses en culture de se différencier et de se multiplier pour produire et émettre des neuromédiateurs. Leur synthèse cérébrale diminue très rapidement après la naissance ; ils ne sont pas élaborés par les microvaisseaux cérébraux mais par les plexus choroïdes. Leur origine est donc hépatique et nutritionnelle, d'autant que la delta-6-désaturase diminue dans le foie au cours du vieillissement.

Une carence en acides gras de la série alpha-linolénique fragilise les membranes, rend le tissu plus sensible aux agressions de toxiques tels le triéthylétain et l’alcool, d'autant plus que la récupération est extrêmement lente et altère l'intégrité de la barrière hémato-encéphalique. Dans l'alimentation, en particulier pendant la période néonatale, Il faut considérer quantitativement et qualitativement les quatre séries d'acides gras : saturée, monoinsaturée, linoléique et alpha-linolénique. Au cours du développement, il existe une relation directe entre le contenu nutritionnel en acides gras polyinsaturés w-3, la composition lipidique et la fluidité des membranes, les activités enzymatiques (ATPase, 5'-nucléotidase), certains paramètres électro-physiologiques (électro-rétinogramme), la fonction (test d'apprentissage, comportement).
L'intérêt des acides gras polyinsaturés à très longues chaînes, en particulier ceux des huiles de poisson, s'exerce en matière de nutrition, de pharmacologie (contrôle de la lipogénèse) et de toxicologie (perturbation de la structure et augmentation des peroxydations).

Les synthèses des acides gras polyinsaturés sont pratiquement nulles dans le cerveau. Le renouvellement des acides polyinsaturés cérébraux s’exerce donc sous le contrôle des synthèses hépatiques ou du contenu nutritionnel ; or, en cours de vieillissement, les synthèses hépatiques diminuent d'où l'importance des apports alimentaires. Les oxydations peroxysomales dans le foie sont importantes pour les acides gras indispensables, plus faibles pour leurs dérivés à très longues chaînes. Les oxydations diminuent au cours du vieillissement et sont induites avec des ampleurs différentes par un inducteur des peroxysomes. Ainsi, les maintenances des acides polyinsaturés membranaires sont affectées, au cours du vieillissement, par altération des synthèses et des dégradations.

Curieusement, il n'y a pas de relation quantitative entre la vitamine E et les acides gras de la famille w-3, tout au moins dans le nerf sciatique au cours du développement et du vieillissement, de même que chez les mutants neurologiques. En revanche, la carence en vitamine E augmente l'acide cervonique du foie et du cerveau. Des doses pharmacologiques de vitamine E augmentent la delta-6-désaturase dans le cerveau, mais la diminuent dans le foie. La vitamine E cérébrale, contrairement à celle des autres organes est très protégée et réutilisée ; elle ne passe pas du cerveau vers le sang. Il existe une stéro-spécificité d'utilisation de l'isomère alpha-D-tocophérol par rapport au gamma-tocophérol ; la présence de gamma-tocophérol dans les aliments augmente les besoins en alpha-tocophoréol.